Devant ma bedaine TRÈS apparente, j'ai évidemment droit aux questions traditionnelles...
Inconnu: "oh, c'est une bonne bedaine (la réalité c'est que même des inconnus ont eu l'audace d'utiliser le mot grosse au lieu de bonne ou belle, ggrrr)! vous devez être du pour bientôt, vous êtes du pour quand?"
Moi: "mars...c'est un gros bébé..."
Inconnu : "C'est votre premier?"
Moi: "non,...c'est ma troisième grossesse..."
Inconnu: "Ah oui...quel âge ont vos enfants ?"
Moi: "...mon fils a 3 ans et...heu...comment dire...ma fille...elle aurait...en fait elle avait...heu...c'est que...elle avait 16 mois lorsqu'elle est décédé le 12 décembre dernier...(ouf)"
(Malaise)
Je m'étais habitué à un certain rituel dans les questions et discussions avec les étrangers curieux...maintenant je suis complètement déboussolée ! Je ne peux quand même pas mentir et dire que je n'ai qu'un seul enfant...c'est faux. Ophélie n'est plus là, mais je suis incapable de dire que je n'ai pas de fille...est-ce que je dois répondre que j'aurai deux fils et attendre qu'on me demande si j'ai perdu un enfant ? Si le gouvernement considère que je ne suis plus le parent d'un enfant car il est décédé (se référer à la règlementation sur le congé parental qui prend fin à la fin de la semaine du décès de l'enfant, car la personne n'est plus admissible)...alors est-ce que j'ai le droit de dire que j'ai trois enfants aux yeux de la société ou j'aurai l'air de la femme morbide qui parle de son enfant mort à qui veut bien l'entendre ? Vous commencez à me connaitre...je vais répondre la vérité si on me pose la question...et désolé si vous ne vouliez pas avoir la réponse. Toutefois, répondre à ces questions me met tout à l'envers...comment rester de marbre et répondre simplement...chaque fois une vague d'émotion me monte à la gorge et je n'ai pas envie de me mettre à pleurer devant la gentille serveuse qui s'intéressait à ma bedaine les yeux pétillants. Je m'étais habitué à présenter ma cocotte Ophélie...je vais m'habituer à présenter sa place dans notre famille, même si sa chaise est vide...et ce sans mettre personne mal à l'aise...désolé pour mes maladresses verbales à tous les inconnus rencontrés depuis le 12 décembre dernier.
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Je ne pourrai pas avoir une photo de famille complète, avec tous mes enfants en même temps |
David et moi devons avoir l'air de deux airs bêtes à certains moments...les yeux rougit, le regard fuyant ou un simple "mmm...oui oui" en guise de réponse...désolé gentils inconnus, parfois on ignore ce qui se cache derrière le masque de la personne en face de nous. Je réalise que j'ai parfois moi-même tendance à juger rapidement un inconnu en raison de son non-verbal ou d'une attitude particulière...qui sait ce que cette personne vit présentement ou a vécu dans les dernières semaines, les dernières années ? Soyons prudents, gentils et respectueux...juste au cas où.
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Un regard...milles pensées... |
Puisque je me suis toujours fait un point d'honneur d'être honnête dans ce blogue...alors je le serai encore aujourd'hui. Nous ne sommes pas à notre meilleur, mais rien d'alarmant. Nous allons comme tout parent doit aller 8 semaines après le décès de leur fille...en fait c'est ce que je crois puisque je ne suis pas une spécialiste de la question. Le premier mois a bien été, dans l'ensemble, puis c'est comme si la réalité nous rattrape et que le vide s'agrandit. Nous sommes assez lucide pour constater notre état d'esprit et assez responsable pour ne pas laisser les choses déborder et devenir hors de contrôle. Qui aurait cru qu'une si petite fille (petite étant relatif, évidemment), un bébé à l'apparence si passive, réagissant si discrètement à notre présence...qui aurait cru qu'elle nous manquerait autant. Jacob doit ressentir quelque chose également car il parle beaucoup d'Ophélie dernièrement...il a demandé son livre de cocotte et nous a dit que Adam allait aller dans les étoiles...comment penser autrement puisque c'est ce qu'il a connu. Je l'ai rassuré que le cerveau d'Adam n'était pas brisé et qu'il allait grandir, comme lui, et apprendre à parler et à marcher...et qu'il n'allait pas mourir et aller dans les étoiles. J'ignore si en le disant je m'adressais à Jacob, à David ou à moi-même...à toute la famille peut-être.
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Jacob devait faire un cœur pour sa famille à la garderie...il n'a voulu inscrire que "pour cocotte d'amour" |
Lorsque Ophélie était présente, nous étions constamment entouré...avec son décès, nos amis proches et familles sont évidemment toujours aussi présents (et appréciés), mais nous n'avons plus l'équipe de professionnels autour de nous. Je crois que ça ajoute au vide...même mon calendrier me parait bien dénudé sans tous les rendez-vous d'Ophélie. Avec le décès de cocotte, on sent un relâchement autour de nous...comme si soudainement tout devait être terminé alors que ça ne fait que commencer. Même certaines personnes sont surprises d'apprendre que je continu d'écrire ce blogue...pourtant le deuil est loin d'être terminé et je peux vous assurer que ce n'est pas de la fausse représentation : nous vivons toujours au jour le jour avec Ophélie...l'histoire n'est pas terminée.
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Un beau moment en famille...une histoire aux chandelles racontée par grand-papa en présence de leur arrière-grand-mère. |
Nous avons repris contact avec l'équipe de soins palliatif du Montreal Children...nous allons voir s'ils peuvent nous donner un petit coup de pouce, ou nous référer à quelqu’un qui le pourra. On a pas envie d'attendre de ne vraiment pas bien aller...on a deux petits bonhommes qui méritent d'avoir des parents qui vont bien physiquement, mentalement et émotionnellement...après tout, même si socialement ce n'est pas tout à fait reconnu, on considère qu'on est parent de trois enfants, il ne faut pas laisser notre énergie se vider complètement sur ce que nous vivons avec Ophélie...les deux autres ont énormément besoin de nous, surtout maintenant...car eux aussi se feront demander un jour de dessiner leur famille et peut-être se questionneront-ils : " est-ce que je dois dessiner ma petite/grande sœur qui est dans les étoiles ?" .